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Afin de chasser l'arbitraire de l'ancien régime, le droit pénal post-révolutionnaire s'est fondé sur des critères objectifs, notamment en bornant son intervention à la réalisation d'un trouble effectif à l'ordre social. Une telle conception du droit pénal semble de prime abord étrangère à la notion de risque. En effet, le risque s'entend d'un élément incertain qui peut avoir des conséquences dans les actes accomplis. Par exemple, en matière pénale, le risque de récidive est le risque qu'un auteur condamné pénalement réitéré un nouvel acte délictueux. Le propre du risque est de ne pas être accompli. Or, notre droit pénal repose sur un héritage objectiviste. Il fonde son intervention sur la constatation effective d'un trouble à l'ordre social. Les infractions objectives reposent donc sur la constatation d'un résultat. Le droit pénal s’intéresse davantage au crime, qu'au criminel en ce qu'il n'intervient qu'à la survenue de ce trouble social indépendamment du risque que peut présenter la personne avant de commettre l'infraction. L'exemple le plus emblématique de ce droit pénal objectif est l'instauration de peines fixes, prévues par la loi pour telle infraction. Le droit pénal objectif repose sur la culpabilité et ainsi, porte peu d'attention au risque.
Cependant, le droit pénal français a également suivi des inspirations subjectivistes. D'abord celles de l'école positiviste italienne de LOMBROSO et GAROFALO, disciples d'Auguste qui prônaient un droit pénal subjectif sécuritaire. En effet, révélant le facteur de dangerosité porté car le délinquant, l'école positiviste estimait qu'il fallait que le droit pénal intervienne en amont de la commission de l'infraction, lorsqu'un individu présentait un état dangereux. Les mesures de sûreté présentes dans le droit pénal aujourd'hui sont l'illustration de ces inspirations positivistes. Entendues comme de simples mesures de protection sociales fondées uniquement sur l'état de dangerosité d'un individu, elles sont essentiellement fondées sur le risque et prouvent que le droit pénal n'est plus purement objectif. Le droit pénal a également été inspiré de l'école de la défense sociale de Marc ANCEL, qui prend en considération le milieu social dans lequel évolue l'individu. S'éloignant de la finalité préventive, il s'agit alors d'éduquer l'individu, de le soigner, l'insérer, le socialiser. La première marque de ce subjectivisme social s'est illustrée par l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 2 février 1945 sur le mineur délinquant, encore applicable jusqu'en 2021. Par ailleurs, l'individualisation de la peine est aujourd'hui un principe retranscrit dans les dernières réformes législatives, preuve de l'essor du droit pénal subjectif, qui se veut préventif afin de lutter contre le risque pénal.
Ce glissement d'un droit pénal objectif vers un droit pénal subjectif, notamment par la prise en compte du risque pose immanquablement la question de la finalité punitive ou préventive du droit pénal français.
Loin de rester éloigné du droit pénal, le risque a connu un avènement dans l'incrimination pénale (I) ainsi qu'un développement dans la répression (II).
I. L’avènement du risque dans l'incrimination pénale
Alors que le résultat d'une infraction était le fondement traditionnel d'intervention du droit pénal, la prise en considération du risque a entraîné le développement d'infractions formelles (A) et d'infractions obstacles (B).
A. Le risque au service des infractions formelles
Traditionnellement, le droit pénal ne pouvait légitiment intervenir que lorsqu'un trouble effectif était constaté, il s'agit du résultat de l'infraction. Cependant, cela empêchait l'appréhension pénale de certains comportements à risque. Le droit pénal a ainsi créé des infractions formelles qui s'entendant de comportements susceptibles d'appréhension pénale indépendamment du résultat qu'ils pourraient produire. L'exemple le plus flagrant est l'infraction de risque causé à autrui, édictée à l'art. 223-1 CP. Indépendamment du dommage éventuellement causé, le seul comportement à risque permet au droit pénal d'intervenir. Cette infraction marque la volonté du droit pénal d'intervenir en amont sur l'iter criminis afin de prévenir le risque de la survenance de trouble à l'ordre social. Les infractions formelles se sont ainsi développées, permettant d'appréhender davantage le comportement à risque.
L’avènement des infractions formelles a entraîné une complexification du droit pénal, notamment parce qu'elles mobilisent la notion de force aggravée qui supposent une violation manifestement délibérée d'une obligation légale ou réglementaire de sécurité. Or, l'expression " manifestement délibérée " se veut suffisamment large pour englober tous les comportements à risque mais peut présenter quelques difficultés sur le plan de la preuve pénales. Néanmoins, les infractions formelles se sont tout de meme développées, incriminant des comportements positifs mais également, des inactions. En effet, le délaissement de mineurs ou de personne vulnérable, ou l'omission de porter secours à une personne en péril sont tant d'inactions qui peuvent engendrer un risque et qui sont ainsi appréhendées pénalement.
Au-delà de ces infractions formelles, le droit pénal développe également des infractions obstacles pour pallier le risque de commission d'autres infractions.
B. Le risque au service des infractions obstacles
Intervenant surtout dans le domaine des politiques pénales prioritaires, les infractions obstacles s'entendent des infractions qui incriminent à titre principal, le seul état dangereux, indépendamment des conséquences qu'il pourrait produire. Le législateur a ainsi érigé par exemple, le mandat criminel par la loi du 9 mars 2004, la conduite sous l'empire de produits stupéfiants en 2003, et l'embuscade par la loi du 5 mars 2007. Tous ces comportements sont aujourd'hui appréhendés par le droit pénal pour empêcher a réalisation du risque qu'une infraction assurément dommageable pour autrui ne soit commise. Par exemple, la participation à une association de malfaiteurs édictée à l'art. 450-1 CP, incrimine le fait de faire partie d'un groupement formé ou d'une entente établie en vue de la préparation d'une autre infraction. Le droit pénal intervient donc avant la commission d'une infraction pour en appréhender pénalement sa préparation. La multiplication des infractions obstacles montre l'essor de la prise en considération du risque par le droit pénal et l'influence grandissante de la finalité préventive du droit pénal.
Toujours sur le terrain des politiques pénales prioritaires, c'est en matière de terrorisme que les infractions obstacles se déploient avec vigueur. En effet, depuis 1996 et l'incrimination de l'association de malfaiteurs terroristes, la prévention du risque terroriste s'est énormément développée. Il peut également être fait mention de l'incrimination du recrutement à finalité terroriste par la loi du 21 décembre 2012 et de l'entreprise individuelle terroriste par celle du 13 novembre 2014. Enfin, l'infraction de consultation habituelle de sites internet à vocation terroriste instaurée par la loi du 3 juin 2016 mérite attention. Edictée à l'art.421-2-5-2 CP, cette infraction a d'abord été censurée par le conseil constitutionnel. Incriminant le fait de consulter habituellement des sites internet mettant à disposition des convenus faisant l'apologie du terrorisme, cette infraction obstacle à la commission d'éventuels actes de tourisme intervient tant sur l'iter criminis et portait atteinte à la liberté de communication dans sa première rédaction. En effet, par une décision en date du 10 février 2017, le conseil constitutionnel a estimé que l'atteinte portée à la liberté de communication était disproportionnée au but poursuivi. La rédaction antérieure du texte n'imposait pas que la personne qui consultait de tels sites, fût animée d'une volonté d'adhérer à l'idéologie terroriste ou de commettre des actes terroristes. Après cette censure, la loi du 28 février 2017 est venue ré-édicter l'infraction. Cette exemple illustre que le droit pénal appréhende le risque de plus en plus tôt dans le projet criminel et doit parfois être freiné pour continuer de sauvegarder les droits et libertés individuels.
Avec l'incrimination, le droit pénal s'est profondément modifié pour prendre davantage en considération le risque. Il a parachevé son action à travers la répression pénale.
II. Le développement du risque dans la répression pénale
La répression pénale est certainement le domaine dans lequel le risque est prééminent. Cela se ressent tant sur le terrain des peines (A) que celui des mesures de sûreté (B).
A. La peine modifiée par le risque
La peine traditionnelle d'emprisonnement ou de réclusion criminelle a été l'objet de durcissement, comme de clémence, toujours sur le fondement du risque. D'une part, le droit pénal a permit d'exclure l'issue d'une période de sûreté dans le cas du prononcé d'une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Ainsi, lorsque le condamné représente un risque pour la société, meme à l'issue d'une période de sûreté, il ne lui est parfois plus permis de demander un aménagement de peine. Certes, les infractions permettant une telle hypothèse sont peu nombreuses, mais leur nombre augmente, comme ce fut le cas récemment par la loi du 3 juin 2016 qui l'a prévu pour les auteurs d'actes terroristes à l'art.421-7 CP. D'autre part, le droit pénal cherche également à endiguer le risque de récidive en évitant les " sorties sèches ". Ainsi, faisant preuve de davantage de clémence, le droit pénal permet à certains condamnés de bénéficier d'une surveillance électronique ou une semi-liberté. Cela lui permet d'achever sa peine d'emprisonnement en se réinsérant progressivement dans la société et ainsi, éviter un risque de récidive.
Par ailleurs, certaines peines plus récentes ont, dès leur prononcé, pour finalité d'éviter un risque de récidive ou de permettre l'accompagnement d'un individu pouvant être considéré comme dangereux. Tel est le cas de la peine de suivi socio-judiciaire. L'art. 131-36-1 CP qui l'édicte dispose clairement que cette peine a pour but de prévenir la récidive. Elle permet à une juridiction de jugement de décider de soumettre le condamné à des mesures d'assistance et de surveillance, le plus souvent obligatoires. L'aspect subjectiviste de cette peine ressort particulièrement de l'art.131-36-3 CP qui dispose que ces mesures ont pour objet de seconder les efforts du condamné à un suivi socio-judiciaire en vue de sa ré-insertion sociale.
Ainsi, la peine a été profondément transformée par la prise en compte du risque. Poursuivant cette voie, le droit pénal a également créer des mesures fondées entièrement sur le risque, à l'image des mesures de sûreté.
B. Les mesures de sûreté forgées par le risque
Définies comme de simples mesures de précaution sociale en vue de neutraliser un état dangereux, les mesures de sûreté sont essentiellement prononcées pour empêcher la réalisation d'un risque. Parce qu'elles ne constituent pas des peines, le droit pénal les a édicté en dehors du droit des peines et de ses garanties telles que la non rétroactivité de la loi pénale plus severe. En leur donnant spécifiquement le caractère de mesures de sûreté, le législateur permettait une application immédiate de telles mesures meme pour des personnes ayant commis des faits antérieurement. Le conseil constitutionnel fait toutefois une distinction depuis une décision de février 2008, entre les mesures de sûreté privatives de liberté et celles qui sont restrictives de liberté. En effet, dans cette décision portant sur la création de la retention de sûreté, le conseil a décidé que cette mesure ne pourrait pas être prononcée pour des faits commis antérieurement à son entrée en vigueur. Cela peut être salué dans la mesure où à l'issue d'une condamnation, une fois la peine pleinement exécutée, il est possible sur le seul constat d'un état dangereux, de placer la personne en rétention en dehors de toute commission d'infraction. Le risque est alors au fondement d'une décision d'enfermement et montre toute sa prééminence dans le droit pénal.
Ce droit pénal préventif s'illustre dans une moindre mesure, mais de manière claire, dans les deux mesures de sûreté que sont la surveillance de sûreté et la surveillance judiciaire. Comme l'indique leur appellation, il s'agit de contrôler le comportement d'une personne qui présente un état dangereux et bien souvent de la soumettre à une injonction de soin. Dans les deux cas, elles supposent l'intervention d'un juge pour être mises en oeuvre - juridiction régionale de rétention de sûreté pour la surveillance de sûreté et tribunal d'application des peines pour la surveillance judiciaire. Cependant, cette garantie ne fait pas oublier que le droit pénal peut désormais intervenir en dehors de tout fait délictueux, mais sur attestation d'un état dangereux présenté par un individu pour pallier un éventuel risque parfois difficile à envisager précisément. Ces aspects du droit pénal tendent à lui faire poursuivre une finalité préventive mais il convient de mesurer le propos en rappelant que la majorité du contentieux pénal s'inscrit toujours dans un droit pénal objectif à finalité punitive et qu'ainsi, ce dernier, ne s'est pas complement effacé face au risque.