Le rôle de la bonne foi en droit des contrats - SORBONNE.

ELISA Roneo

Proposition de corrigé, tirée d'une copie d'admissible au premier concours de l'ENM, notée 16/20 par les correcteurs de la Sorbonne et rédigée en 4 heures en distentiel.

 

A la suite de l’avant projet de réforme du droit des obligations présenté par la commission présidée par le professeur Catala en 2005 et conférant une place importante à la bonne foi en la matière, le projet « Chancellerie » consacre la bonne foi en principe directeur du droit des contrats. A une activité jurisprudentielle intense relativement à la bonne foi correspond un travail législatif renouvelé. L’actualité de cette notion laisse cependant subsister les difficultés à en cerner les contours. Définie de manière large comme l’attitude ou l’état d’esprit de celui qui entend se conformer à la règle de droit, la bonne foi est présente dans l’ensemble du droit civil. L’on pense ainsi à la prescription acquisitive en droit des biens ou encore au mariage putatif en droit de la famille. En droit des contrats, compris comme l’ensemble des règles régissant les conventions formées par la rencontre de volontés et emportant des obligations pour les parties qui s’engagent, la bonne foi est consacrée à l’article 1134 du Code civil (CC). Alors que la bonne foi en droit des biens correspond le plus souvent à l’ignorance légitime emportant la faveur du droit pour celui qui entendait se conformer à la règle de droit, la bonne foi en droit des contrats renvoie traditionnellement à l’exécution du contrat. Afin de garantir le respect des conventions, il s’agit de s’assurer de la bonne volonté contractuelle des parties. La bonne foi ne saurait ainsi être réduite à la seule absence de mauvaise foi ou encore à la loyauté. Elle invite le contractant à exécuter le contrat en se conformant non seulement à sa lettre mais aussi à son esprit. Dans la mesure où le seul respect de la lettre de la convention pourrait en trahir l’esprit et être préjudiciable au cocontractant, il s’agit au travers de la bonne foi contractuelle de contrôler le respect des obligations dans leur intégralité. Interprétant l’article 1134 du code civil, la jurisprudence a ainsi enrichi la norme contractuelle de nouvelles obligations dans l’exécution du contrat (devoir de coopération, devoir de loyauté), au nom de la bonne foi. Bien plus, dans l’objectif d’une certaine moralisation du droit des contrats, le rôle de la bonne foi, ou encore sa fonction, a progressivement été étendu à l’ensemble de la sphère contractuelle que cela soit à la formation du contrat (découverte d’obligations d’information) ou à la période succédant à l’exécution du contrat (respect des clauses de non concurrence). De la sorte, la bonne foi apparaît comme essentielle en droit des contrats. Elle intéresse aussi les tiers qui doivent respecter la norme contractuelle qui leur est opposable.

 

Cependant, le rôle majeur de la bonne foi est aussi potentiellement subversif. Le risque est grand, au travers de l’obligation faite aux contractants d’agir de bonne foi, de conduire à la dénaturation du contrat ou encore de porter atteinte à l’intangibilité des conventions. Entendue largement, la sanction de l’absence de bonne foi pourrait apporter atteinte à la sécurité juridique des contractants.

 

Il s’agit donc de se demander dans quelle mesure le droit des contrats concilie le respect de la bonne foi dans le contrat, outil de moralisation de ce dernier et la préservation de la sécurité juridique des parties. Si la bonne foi a aujourd’hui un rôle croissant en droit des contrats (I), il importe que ce rôle soit relativement cantonné (II).

 

I – Le rôle croissant de la bonne foi en droit des contrats

 

Au rôle traditionnel de la bonne foi dans l’exécution du contrat, entendue comme bonne volonté contractuelle (A), s’ajoute le rôle étendu de la bonne foi comme principe directeur du droit des contrats (B).

 

A – Le rôle traditionnel de la bonne foi lors de l’exécution du contrat

 

Tant la définition large de la bonne foi lors de l’exécution du contrat que ses conséquences pour les parties et les tiers témoignent du rôle majeur de la bonne foi lors de l’exécution des conventions. L’article 1134 du Code civil dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi. Une telle référence à la bonne foi invite à la distinguer de la seule absence de mauvaise foi. Alors que le dol lors de la formation du contrat, vice du consentement conduisant à son annulation, correspond à la mauvaise foi du cocontractant, alors que l’abus dans l’exercice d’un droit se trouve par ailleurs sanctionné (Requêtes 3 août 1915), la référence à la bonne foi s’entend ici d’une obligation positive faite aux parties. Soucieux d’assurer le respect des conventions, légalement formées, comme de la loi, les codificateurs de 1804 affirment à l’ article 1134 du Code civil l’obligation positive faite aux parties de mettre tous les moyens, à leur disposition, en œuvre pour assurer le respect de leurs obligations. La bonne foi est ainsi la bonne volonté contractuelle. Elle trouve son fondement dans la force obligatoire du contrat. De cette obligation de comportement positif, les juges ont déduit de nouvelles obligations s’imposant aux parties dans l’exécution des conventions. La bonne foi emporte ainsi un devoir de loyauté. L’assureur est ainsi tenu d’une obligation de loyauté dans la mise en œuvre du processus d’indemnisation de son assuré (Civile 1ère 26 novembre 1996). Elle correspond également à un devoir de coopération particulièrement important en droit du travail. L’employeur est par conséquent tenu d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois (Sociale 25 février 1992). Un devoir de cohérence a également été consacré (Commerciale 08 novembre 2005).
Alors que pour les tiers au contrat, le devoir d’être de bonne foi relativement à l’exécution du contrat correspond au seul fait de respecter la norme contractuelle en tant qu’elle leur est opposable et donc de ne pas sciemment participer à l’inexécution du contrat sous peine, le cas échéant, d’engager leur responsabilité délictuelle, l’obligation d’exécuter le contrat de bonne foi a des conséquences positives sur les parties. En l’absence d’une telle bonne foi, la clause invoquée sans bonne foi sera tantôt écartée par le juge ; tantôt le non respect du devoir d’être de bonne foi pourra conduire à la résolution du contrat et à l’engagement de la responsabilité contractuelle. La possibilité pour le juge de réputer non écrite une clause abusive en droit de la consommation en vertu de l’article L132-1 du Code de la consommation (abrogé en 2016) peut s’analyser comme la sanction de la mauvaise foi du professionnel dans l’exécution du contrat. Au delà
du droit spécial, cette sanction trouve des prolongements en matière de clause résolutoire ou de clauses d’irresponsabilité. Le contrôle de l’exécution de bonne foi du contrat contribue à assurer l’équilibre des conventions et à moraliser le droit des contrats. Ainsi le juge refusera d’appliquer une clause résolutoire invoquée tardivement après l’inexécution constatée ou encore alors que le cocontractant ne peut en avoir connaissance. De même le juge refuse d’appliquer une clause d’irresponsabilité en cas de dol ou de faute lourde de la partie qui l’invoque (Commerciale 15 juin 1959). Plus radicalement, l’absence d’exécution de bonne foi peut correspondre à un manquement contractuel justifiant la résolution du contrat de l’article 1184 du Code civil ou  l’engagement de la responsabilité contractuelle du cocontractant en vertu de l’article 1147 du Code civil. Les manifestations majeures du rôle fondamental de la bonne foi sont par exemple la sanction de l’abus dans la fixation du prix dans les contrats cadres (AP 1er décembre 1995).
Surtout, rompant avec le refus traditionnel en droit civil de reconnaître la théorie de l’imprévision, le juge a pu considérer ou non de la bonne foi une obligation de renégocier les prix en matière de distribution pétrolière (Commerciale 03 novembre 1992). A ce rôle étendu de la bonne foi comme bonne volonté contractuelle s’ajoute aujourd’hui la consécration du rôle de la bonne foi comme principe directeur de l’ensemble de la sphère contractuelle.

 

B – L’extension du rôle de la bonne foi à tous les stades du contrat

 

La formation du contrat mais aussi la période succédant à l’exécution du contrat sont désormais soumises à une obligation d’être de bonne foi. La bonne foi n’est pas seulement un outil de rétablissement de l’équilibre du contrat mais bien plus un instrument de moralisation du droit des contrats.
La jurisprudence a en effet reconnu le rôle majeur de la bonne foi lors de la formation du contrat. Si la rupture des pourparlers est une expression de la liberté contractuelle emportant également la liberté de ne pas contracter à l’issue des négociations, la rupture abusive des pourparlers peut engager la responsabilité délictuelle de l’intéressé (Commerciale 20 mars 1972, Commerciale 26 novembre 2003). L’obligation d’être de bonne foi correspond alors à l’absence d’abus, à l’absence d’intention de nuire. Lors de la phase précontractuelle l’obligation d’être de bonne foi perd ainsi la spécificité qui est la sienne lors de l’exécution du contrat. Il ne s’agit plus seulement d’imposer un rôle actif du contractant mais de sanctionner l’abstention du contractant, ce que confirme l’analyse des vices du consentement. Alors que la sanction de la violence, emportant l’annulation du contrat en vertu de l’article 1111 du code
civil, apparaît comme plus forte que la seule sanction de l’absence de bonne foi, la nullité pour dol semble correspondre à cette hypothèse. L’admission de la réticence dolosive comme cause de nullité du contrat (Civile 3ème 15 janvier 1972) traduit alors l’extension de la bonne foi dans la phase précontractuelle. Non seulement les manœuvres provoquant une erreur déterminante du consentement du contractant sont sanctionnées mais encore le simple silence.
Ainsi, la bonne foi contribue au développement d’obligations précontractuelles d’information visant à la moralisation du droit des contrats. Le dol étant un délit civil l’annulation du contrat pourra être renforcée par l’octroi de dommages intérêts témoignant bien de cette fonction moralisatrice de la bonne foi.
Par ailleurs, le maintien de l’obligation d’être de bonne foi pendant la suspension du contrat (Sociale 06 février 2001) ainsi que l’obligation de respecter les clauses de non concurrence à l’issue du contrat tout comme le respect du secret professionnel contribuent à confondre la bonne foi avec la loyauté. Alors que la bonne foi dans l’exécution du contrat enrichit le contenu obligationnel de ce contrat, la bonne foi étendue à tous les stades du contrat correspond à l’obligation de respecter le contrat en tant que norme selon la distinction opérée par M. Ancel.

Si elle participe à la moralisation du contrat, l’extension du rôle de la bonne foi peut conduire à la dilution de la notion. Surtout le risque est grand qu’à travers l’obligation d’être de bonne foi, il soit porté atteinte à la sécurité juridique des contractants. D’où la recherche d’un certain cantonnement de la bonne foi.

 

II – Le cantonnement relatif du rôle de la bonne foi en droit des contrats

 

En raison du rôle potentiellement subversif de la bonne foi en droit des contrats (A), certaines manifestations ponctuelles témoignent d’un cantonnement relatif de cette dernière (B).

 

A – Le rôle potentiellement subversif de la bonne foi en droit des contrats

 

La sanction élargie de l’absence de bonne foi dans les contrats peut conduire à la dénaturation des conventions ainsi qu’à la remise en cause de l’intangibilité de ces dernières. Si le juge doit contrôler l’exécution de bonne foi par les parties de leurs conventions (article 1134 du Code civil) et en déduire toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent aux obligations (article 1135 du Code civil), son interprétation du contrat ne doit pas conduire à la dénaturation des obligations des parties. La Cour de cassation contrôle ainsi le respect par le juge des termes clairs et précis de la convention (Civile 15 avril 1872). L’interdiction de dénaturer les conventions trouve son fondement dans le but même du contrat. Par leur rencontre de volontés, les parties souhaitent voir l’ordonnancement juridique modifié à leur égard. Le respect de la volonté des parties est donc essentiel à la sécurité juridique des parties. L’efficacité même de la convention dépend de la certitude des parties dans la réalisation des obligations auxquelles elles se sont engagées. Dans cette perspective, le contrôle du respect de la bonne foi des parties par le juge doit se limiter au contrôle du respect de l’esprit du contrat et non en dénaturer et la lettre et l’esprit. Ainsi, la Cour de cassation a rappelé que si la règle selon laquelle les conventions doivent être exécutées de bonne foi permet au juge de sanctionner l’usage déloyal d’une prérogative contractuelle, elle ne l’autorise pas à porter atteinte à la substance même des droits et obligations légalement convenus (Commerciale 10 juillet 2007). De la même manière, le principe de l’intangibilité des conventions posé par le célèbre arrêt Canal de Craponne du 08 mars 1876 consacre le refus de la théorie de l’imprévision en droit civil, à la différence du droit public. Les prérogatives de l’administration et la réalisation de l’intérêt général justifient en effet qu’en cas de modification dans l’équilibre des obligations lors de l’exécution du contrat administratif, une renégociation ou une compensation pour le contractant de l’administration soit mise en œuvre. Au contraire, le juge civil rejette une telle théorie au nom de la prévisibilité du contrat et de la sécurité juridique des contractants. C’est pourquoi hormis le célèbre arrêt Huard de la Chambre Commerciale du 03 novembre 1992 précédemment cité, les manifestations d’une obligation de renégociation au nom de la bonne foi restent rares en jurisprudence. On assiste ainsi à un certain cantonnement des conséquences de la bonne foi en droit des contrats. La recherche de l’équilibre entre moralisation du contrat et sécurité juridique reste toutefois délicate.

 

B – Les manifestations ponctuelles du cantonnement de la bonne foi en droit
des contrats

 

Dans la mesure où la bonne foi en droit civil fait l’objet d’une présomption simple (article 2274 du code civil), le cantonnement de l’influence de la bonne foi et donc de la sanction de son absence en droit des contrats pourrait résulter de cette règle de preuve. La jurisprudence considère toutefois en matière d’obligations d’information que c’est au débiteur d’en apporter la preuve (Civile 1ère 15 ami 2002 en ce qui concerne l’obligation d’information du vendeur). Le cantonnement de la sanction de l’absence de bonne foi se traduit alors par l’encadrement du domaine de l’obligation d’être de bonne foi et par la limitation de sa portée.
En effet, la Cour de cassation a rappelé par un arrêt du 14 septembre 2005 (Civile 3ème 14 septembre 2005) que l’obligation de bonne foi suppose l’existence de liens contractuels et que ceux-ci cessent lorsque la condition suspensive auxquels ils étaient soumis a défailli. Si la lettre de l’arrêt peut surprendre tant l’obligation de bonne foi trouve des manifestations en matière précontractuelle et post-contractuelle comme nous l’avons souligné, elle invite cependant à clairement distinguer entre la bonne foi comme simple devoir de loyauté présent à tous les stades du contrat et la bonne foi en tant que bonne volonté contractuelle, véritable obligation du contrat. C’est sur cette distinction que repose le seul engagement de la responsabilité délictuelle en cas d’irrespect de la bonne foi en matière précontractuelle. Au
contraire, le non respect d’une telle obligation du contrat peut conduire à l’octroi de dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Un tel cantonnement du domaine de l’obligation de bonne foi à la seule exécution contractuelle vise alors à préserver la liberté contractuelle dans la période précontractuelle. La conciliation entre le respect de la bonne foi et la sécurité juridique des parties se traduit également par le cantonnement de la portée de la bonne foi tant en tant que simple devoir lors de la formation du contrat qu’en tant qu’obligation lors de l’exécution du contrat. La jurisprudence est ainsi venue encadrer le rôle de la bonne foi dans le cadre du dol. Tout en rappelant que le manquement à une obligation précontractuelle d’information ne peut suffire à caractériser le dol par réticence, si ne s’y ajoute la constatation du caractère intentionnel de ce manquement et d’une erreur déterminante provoquée par celui-ci (Commerciale 28 juin 2005), la jurisprudence est venue restreindre le champ de cette obligation précontractuelle. Afin d’assurer l’efficacité économique des conventions, elle a considéré dans l’arrêt Baldus qu’aucune obligation d’information ne pèse sur l’acheteur (Civile 1ère 03 mai 2000). L’acquéreur même professionnel n’est pas tenu d’une telle obligation sur la valeur du bien acquis (Civile 3ème 17 janvier 2007). Il n’y a donc pas absence de bonne foi lorsque l’information sur la valeur était aussi à la disposition du vendeur. Le rôle de la bonne foi se voit donc limité dans un souci d’efficacité économique. Un tel équilibre entre la recherche de la bonne exécution des conventions, la moralisation du contrat et la sécurité et l’efficacité économique des conventions est cependant délicat. La question de l’obligation de renégociation au nom de la bonne foi fait à ce titre aujourd’hui débat. Dans un arrêt du 16 mars 2004, la première chambre Civile a considéré que lorsque les difficultés du cocontractant sont dues à un déséquilibre financier initial de la convention et non à une modification ultérieure des circonstances économiques, il n’y a pas d’obligation de renégociation. Certains ont alors interprété cet arrêt comme la consécration d’une telle obligation en cas de modification lors de l’exécution du contrat. L’Avant projet de réforme du droit des obligations consacre à cet égard la possibilité pour une partie de demander au président du tribunal de grande instance d’ordonner une telle renégociation.

C’est toute la spécificité du rôle de la bonne foi en droit des contrats qui est alors en jeu. Garante de la bonne exécution contractuelle et de la moralisation du contrat, elle ne correspond pas à une prime accordée par le droit, au contraire de la bonne foi en tant qu’ignorance légitime. Elle doit donc être conciliée avec la sécurité des conventions ce que vérifierait le président du tribunal de grande instance.

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Fiche, French
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